Focus sur une artiste sud africaine engagée: Mary Sibandé

Art Kelen
4 min readSep 26, 2020
Mary Sibande in Johannesburg in September 2019, photographed for the FT by Gulshan Khan

Sculptrice sud-africaine basée à Johannesburg, Mary Sibandé est née au début des années 80. Son travail se concentre sur les questions sociales, raciales et de genres dans la société post apartheid.

L’héroïne de ses œuvres est une domestique appelée Sophie. Ce prénom est celui communément donné par les bourgeois blancs en Afrique du Sud aux femmes à leur service.

Mary Sibande utilise ce personnage comme une sorte d’alter-ego qu’elle met en scène dans de grandes installations ou des photographies.

I’m a lady

À travers le personnage de Sophie, elle raconte la vie des femmes noires de son pays et utilise leurs rêves, leurs revendications et leurs peurs pour nourrir son discours. Cette histoire, elle l’a connait parfaitement puisque sa grand-mère et sa mère étaient des domestiques. Mais Mary Sibande, comme une partie de la jeune génération sud-africaine, profité de la fin de l’apartheid et de la présidence de Nelson Mandela pour briser ce cercle. Diplômée des beaux-arts du Teknikon Witwatersrand et de l’université de Johannesburg, elle est la première diplômée de sa famille à suivre un cursus universitaire.

Le personnage de Sophie a évolué au cours du temps et ses costumes majestueux représentent une pièce centrale de son oeuvre. A travers des couleurs vibrantes qui oscillent entre le bleu, le violet et le rouge, elle raconte l’histoire de l’Afrique du Sud et la transformation de son alter ego Sophie face à ces changements.

Le bleu de “Long Live the Dead Queen” (2009–2013)

C’est dans cette série que le personnage de Sophie a été présenté pour la première fois. Il représente la grand-mère de Mary. Avec un costume hybride entre le traditionnel uniforme de bonne et la robe victorienne de princesse, Sophie semble songer à une vie meilleure, loin de cet anonymat et des tâches ménagères. La rêverie organise tour à tour de multiples métamorphoses et Sophie occupe les différents rôles refusés à sa mère ou à sa grand-mère, auxquelles l’œuvre rend hommage : Sophie est une guerrière, une cavalière, une prêtresse, une reine.

La mère et la grand-mère de Sibandé sont fières de sa carrière artistique, et sa grand-mère adore montrer des articles et des critiques du travail de Sibande à ses amis. “J’ai rassemblé beaucoup d’histoires sur elle”, a déclaré Sibande. “Et je me souviens qu’un jour, elle m’a dit

“C’est incroyable ce que tu fais, prendre cette horrible histoire et en faire ces beaux objets.’”

Silent symphony

Le violet de “The Purple Shall Govern” (2013–2017)

Cette couleur aux connotations symboliques de noblesse, de luxe et de puissance sont une référence aux manifestations anti-apartheid “Purple Rain” du 2 septembre 1989. Face aux manifestants, la police antiémeute avait fait usage d’un canon à eau projetant de la teinture violette, avec pour objectif d’identifier et d’arrêter les militants couverts de colorant.

Philip Ivey, un des manifestants, parvint pendant un moment à prendre le contrôle du canon et à le diriger vers les locaux régionaux du National Party au pouvoir. Après la manifestation apparaîtra le graffiti antiapartheid « The purple shall govern », paraphrase de la charte de la liberté de l’ANC.

Dans cette série, qui se situe à l’époque charnière de la fin de l’Apartheid, Sophie, représentée avec « A Reversed Retrogress, Scene 2 », montre une femme aux bras levés tentant de se libérer de racines qui peuvent aussi bien apparaître comme des entraves que comme des vaisseaux sanguins, source de vie.

Cry Havoc

Le rouge de “In the midst of chaos there is also opportunity”

Les rêves et les espoirs permis par la fin de l’apartheid se heurtent au principe des réalités économiques et sociales : la brutalité continue de dominer les rapports entre les hommes. Les promesses d’un futur égalitaire ont laissé place à de multiples injustices et Sophie devient la « Figure rouge », entre guide spirituelle, prêtresse et divinité vengeresse et sacrificielle (There’s a storm in my heart, 2019).

In the midst of chaos, there is also opportunity

A Londres, la Somerset House a proposé la première exposition personnelle “I Came Apart at the Seams” du 3 octobre 2019 au 5 janvier 2020 de Mary Sibande, en partenariat avec l’édition 2019 du salon 1–54 Contemporary African Art Fair, exposition qui retraçait ces trois séries sous différents médiums.

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