Pourriez vous vous présenter ?
Je suis Ousmane M’Baye, Designer sénégalais de 41 ans.
Pourquoi avez-vous choisi ce métier?
Par curiosité, par besoin et par amour. J’ai été pendant 17 ans frigoriste, à la trentaine j’ai changé complètement de parcours, j’ai effectué un grand virage et je me suis mis au Design. Je me suis rapproché de la philosophie du Bauhaus qui dit « Apprenons en faisant». Au début c’était pour répondre à un besoin personnel mais j’ai vite compris l’importance que le Design peut avoir dans notre quotidien.
En tant qu’artiste, comment vous définiriez-vous?
Je me définis comme un Designer Contemporain.
Quel est votre parcours?
J’ai une formation de technicien en froid, métier que j’ai pratiqué pendant 17 ans. Cela m’a permis de côtoyer pas mal de techniques de travail (soudure, travail du métal, travail du cuivre, l’électricité etc…) que j’utilise aujourd’hui dans mon métier de Designer. Les gens disent que je suis autodidacte mais je ne crois pas, j’ai appris un métier, je l’ai transformé.
À 30 ans, en pleine crise de la trentaine certainement, j’ai décidé de changer de direction, je me suis enfin écouté et j’ai commencé à créer des objets, du mobilier.
Qui vous a influencé ?
Mon influence principale c’est mon père. C’est un homme pour qui j’ai une grande admiration et dont le comportement, les réflexions, la philosophie de vie m’impressionnent et me forcent à être quelqu’un de meilleur. Il est un modèle pour moi, il m’inspire beaucoup.
Deux grandes dames, Marie-José Crespin et Marina Yaguelo ont joué un rôle important dans ma carrière.
Marie-José Crespin, que je considère comme ma 2nd maman est une ancienne magistrate, qui à la retraite s’est consacrée à sa passion : les colliers et les parures ethniques et archéologiques.
J’ai beaucoup échangé avec elle sur l’art et la création en particulier.
Marina Yaguello est une grande amie. Elle est linguiste et professeur émérite à l’Université de Paris VII. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur la linguistique et les langues en général. Elle travaille notamment sur le wolof*. C’est elle qui m’a poussé à faire ma toute première exposition.
Quels sont les artistes que vous admirez? Qui vous ont inspiré?
J’admire beaucoup Aissa Dione et parmi les personnes de ma génération, Issa Diabaté.
Aissa Dione se consacre depuis de nombreuses années au développement des Savoir Faire en Afrique de l’Ouest, principalement dans le domaine des Arts Textiles.
Son but est de prouver qu’un développement économique endogène est possible, en utilisant les ressources locales, aussi biens matérielles qu’humaines, et en reliant le savoir faire traditionnel aux compétences industrielles.
Issa Diabaté est une architecte et designer ivoirien de renom.
Vos proches vous ont ils toujours soutenu dans vos choix?
Oui, j’ai eu la chance d’être soutenu dès le début par mes proches. Ma décision en a surpris certains mais quand je prends une décision aussi importante que celle là c’est que j’y crois et quand je crois à 100% en quelque chose, il vaut mieux être de mon côté (rires).
Que reflètent vos œuvres?
L’équilibre ! Il est essentiel quand on créée un meuble (ou tout objet d’art). Cet équilibre se manifeste dans la gestion du plein et du vide,
dans la courbe d’une ligne, dans l’habillage d’un meuble.
De mon point de vue, il est essentiel d’arriver à trouver un équilibre harmonieux pour qu’une pièce, en plus d’être pratique, soit belle et élégante. Il s’agit de l’équilibre entre le plein et le vide.
L’équilibre, l’ergonomie, le confort, l’esthétique et la fonctionnalité sont fondamentaux. Je travaille aussi le mélange des couleurs, le mélange des matières, et beaucoup d’amour.
D’où vient votre inspiration?
Je ne sais pas…. Si je savais ce qui m’inspirait je ne serai jamais en recherche de moi, de l’autre. Le Passé, le Présent, la Nature, l’Urbain, les Gens. Tout ! Avec un grand « T » ! Les autres, la vie, la rue. Une chanson, un regard, une photo… Une discussion, un échange, le travail d’un poète ou d’un peintre. Tout peut être source d’inspiration. Il faut laisser « infuser » et écouter son cœur et se faire plaisir, l’île de Gorée m’aide beaucoup pour ça.
Observer, prendre, donner, chercher l’équilibre dans la forme. L’inspiration me vient assez naturellement. Assouvir un besoin personnel, un besoin de nouveauté, de voir de nouvelles choses qui me rendent heureux. Tout ce mélange devient de l’inspiration.
Comment travaillez-vous?
Je conçois le modèle dans ma tête, forme, ligne, équilibre puis j’y pense pendant quelques jours. Quand c’est prêt dans ma tête je vais à l’atelier et je réalise un prototype. En général, il y a peu de modifications. Je ne touche pas une souris, pas un stylo, c’est une façon un peu originale de procéder mais c’est comme ça que je peux avancer, créer.
Quelle est l’étape que vous préférez dans la réalisation?
Quand on passe de l’idée à l’objet concret, la réalisation, la construction même de l’objet, le voir prendre vie.
Lorsque vous débutez une création, avez-vous une idée précise de l’aboutissement souhaité?
En général, l’idée est assez précise et je sais où je vais. Maintenant il y a toujours une part de surprise dans ce que la pièce peut vous donner, comment elle vit une fois qu’elle a pris forme, comment elle se comporte dans l’espace. Comment elle a envie de s’orienter. Mais en général c’est très clair dans ma tête.
Quelle est votre particularité?
Ma particularité c’est d’être très curieux, boulimique même et d’avoir toujours envie, avec une grande simplicité.
Comment définiriez vous votre art, vos créations?
C’est vraiment moi, il me ressemble beaucoup. Toujours en recherche, en évolution, en quête.
Quelle est l’œuvre phare de vos créations?
La prochaine (rires). C’est une grande question. Chaque pièce que j’ai créée a répondu à un besoin, à un instant de ma vie. Je ne peux pas en citer qu’une, elles ont toutes été importantes à un moment, chacune m’a marquée à sa façon.
A l’occasion de la Biennale d’Art Contemporain de Dakar 2016, j’ai ressorti quelques modèles de mes assises mais en ne travaillant que l’armature, le squelette, en blanc mat pur et simple. A cette occasion je me suis rendu compte à quel point chaque pièce a une histoire et à quel point chaque pièce m’a marqué d’une façon ou d’une autre.
Où travaillez-vous ?
Mon atelier est à Soumbédioune, en face du Marché artisanal de Dakar. J’ai besoin de plus de place et je rêve de trouver un lieu plus spacieux et plus adaptés.
Quel est l’environnement idéal pour vous, pour pouvoir bien exercer votre métier ?
Il n’y a pas d’environnement idéal, c’est nous qui créons l’environnement dans lequel on évolue. Et si on est en harmonie avec le lieu, l’espace, il n’y a pas mieux. Tu peux être inspiré partout où tu es.
Adhérez-vous à des associations, des collectifs ou autres ?
Je fais partie de « African Design Day », je trouve ce genre d’initiative intéressante, maintenant la difficulté c’est que ce soit un projet pérenne et qui rejaillit positivement sur tous les participants, tous les membres.
Vous intéressez-vous à d’autres formes artistiques et à d’autres formes de culture?
Oui, j’aime beaucoup la photographie contemporaine, le Design Textile, la Danse Contemporaine et je suis amateur d’Art Africain, d’antiquité.
Je travaille actuellement à la création d’une école de Design, ici au Sénégal. Je trouve ça dommage que nous n’ayons pas d’école de Design quand on a tout ce potentiel, tous ces jeunes désireux d’avancer et de créer. Certains ont la chance de pouvoir partir à l’étranger pour se former mais la majorité n’a aucune alternative, aucune solution sur place.
Faire de la formation, mettre en place une institution pérenne qui permettra aux jeunes Sénégalais mais aussi aux jeunes de tout le continent de se former ici et de pouvoir ensuite appliquer ce qu’ils ont appris dans notre quotidien.
Comment se développer quand 95% de ce que l’on consomme vient de l’étranger ? On doit pouvoir créer ici, produire ici, mettre en place les structures et les outils adéquats pour ça. J’ai la chance d’avoir autour de moi de nombreux professionnels du monde du Design, de l’Architecture, du Design Textile, de l’Art en général et je compte mettre à contribution ce réseau pour faire de chacun un incubateur et un représentant de ce projet.
Le design s’intègre aujourd’hui à tous les niveaux du tissu économique et social, c’est un vrai besoin et c’est surement un métier d’avenir qui nous permettra en plus de partager notre vision esthétique avec le plus grand nombre. En tout cas c’est mon rêve et je me bats tous les jours pour que cela devienne une réalité.