Portrait de Fred Ebami

Art Kelen
7 min readNov 20, 2016

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Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Je suis un franco-camerounais de 40 ans, j’ai grandi en France et je vis et travaille actuellement entre Paris et Londres. Ayant toujours aimé dessiner, mon souhait était d’intégrer l’Ecole des Beaux Art à la fin de mes études mais faute de moyens j’ai laissé ce rêve de côté.

J’ai alors voyagé, je me suis notamment rendu aux Etats Unis et en Angleterre. C’est au cours de mon 1er emploi de barman à Londres que j’ai rencontré Paul Klee qui est tombé sous le charme de mes croquis. Il m’a fortement encouragé et incité à intégrer l’école d’infographie Oxford & Cherwill College où on m’a enseigné les techniques du graphic design.

A l’obtention de mon diplôme intitulé High National Diploma en 2004, j’ai dessiné pour des amis et notamment pour mon meilleur ami, le slameur et poète Capitaine Alexandre, couronné du prix Verlaine de l’Académie française en 2015. J’ai ainsi réalisé des visuels pour son recueil de poèmes (Afrique Diaspora et Négritude) qui a connu un succès retentissant. Il m’a donc entrainé dans son ascension.

En 2010, Capitaine Alexandre, ne m’a pas laissé le choix en organisant à mon insu ma participation à une exposition en France.

Depuis les choses se sont enchainées et j’expose aujourd’hui aussi bien en France qu’en Angleterre mais aussi en Afrique du sud et au Sénégal.

Qu’est ce qui a déclenché cet envie de faire ce métier?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu l’âme vagabonde, je suis curieux et je ressens constamment le besoin d’aller voir ailleurs. Aller au Etats Unis était mon rêve. Comme pour beaucoup de jeunes de mon âge, les Etats- Unis représentaient un eldorado avec en tête cette idée du « rêve américain ». Mais j’ai vite déchanté et mon constat était décevant tant les inégalités et discriminations étaient criantes.

J’ai préféré l’Angleterre avec Oxford puis Londres, ville magique, ouverte et ecclésiastique. C’est ainsi que mon installation à Londres puis la rencontre avec le DJ Paul Klee ont changé le cours de ma vie.

Vos proches vous ont-ils toujours soutenu dans vos choix ?

Ma famille m’a toujours considéré comme quelqu’un de « spécial ». J’étais le premier de ma fratrie à voyager, le premier à me faire un tatouage…. Ma mère m’a toujours encouragé et soutenu mais avec sécurité et protection. Il était important à ses yeux que j’obtienne mon baccalauréat puis que je poursuive des études supérieures. Elle est aujourd’hui très fière de mon parcours.

Quels sont les artistes qui vous ont influencé, que vous admirez ?

Le photographe Olivier Toscani est sans conteste celui qui m’a le plus influencé, il est celui qui m’a donné l’envie de faire ce métier. Ces photos controversées avec des mises en scène toujours originales pour le compte de l’enseigne Benetton m’ont touchés, j’aime cette idée d’aborder des sujets tabous.

Le peintre Basquiat avec son brin de folie, ses œuvres colorées et son brouhaha qui à priori ne veut rien dire mais qui en fait a du sens fait partie de mes artistes favoris.

Warhol, figure centrale du pop up art avec son maniement des couleurs et de la photographie, son habilité à transformer quelque chose de normal en quelque chose de sublime.

Roy Liechstenstein pour son côté comics et Shepard Fairey pour ses images slogans, mais aussi l’artiste peintre franco hongrois Mambo, l’artiste urbain D*Face et le graffeur et artiste peintre américain Jonone. Ces artistes m’ont donné le goût pour leur art.

En tant qu’artiste, comment vous définiriez-vous?

Je suis une personne qui aime communiquer avec les gens.

Artistiquement parlant je m’inscris dans le courant Popart. Il s’agit d’un art populaire ancré dans son époque.

Un pop artiste s’inspire de la société et notamment de la société de consommation, mais aussi des problèmes de société et de politique.

Pour ma part, être un artiste pop art répond à la volonté de savoir et comprendre ce que les individus ressentent, je suis un artiste qui aspire à faire sourire mais aussi à réfléchir.

Je m’inspire de tout ce qui m’entoure, de l’actualité, de mes joies et mes peines, tout cela fait écho dans mon art.

Mon art est ludique, mental, physique mais surtout humain.

Mes domaines de prédilection sont l’affiche et le Print. J’adore créer des scènes ou des mises en scènes avec des personnages qui illustreront mon idée. Je les dessine sur mon ordinateur avant de les imprimer et de les mettre sous verre pour donner l’effet relief ou pour les récréer sur la toile.

On dit de moi que je suis actuellement le seul pop artiste d’origine africaine de ma génération. Cela me fait peur mais dans le même temps c’est encourageant pour les jeunes qui n’osent pas croire en leur rêve. En effet, je suis de banlieue, j’ai osé croire en mon rêve, j’ai travaillé dur dans ce sens et aujourd’hui, mon travail est reconnu.

Comment travaillez vous? Quelles sont les étapes de votre création?

Il m’est difficile d’expliquer de manière rationnelle comment apparaît l’idée car elle surgit de nulle part. L’arrivée de cette idée est intéressante car c’est comme un effet électrique, je ressens le besoin de griffonner. Je peux faire énormément de croquis pour n’en qu’en garder qu’un au final.

Un fois le sujet arrêté, la scénique se met place, je fais des ébauches de personnages, je me documente sur le sujet puis je suis prêt à réaliser l’affiche.

J’aime toutes les phases de création, l’émergence de l’idée surtout quand je la trouve folle et irréalisable ; le griffonnage et la réalisation sur l’ordinateur car le travail devient réel. A cette étape, j’ai hâte de voir l’œuvre finie et de découvrir la réaction du public.

Chacune des étapes est captivante.

J’aime créer de façon spontanée mais il peut m’arriver de travailler sur commande. Si tel est le cas, à la réception du sujet, je me détache du sujet, je le mets de côté afin de ne pas être conditionné pour y revenir plus tard.

Quelle est l’oeuvre phare de vos créations?

J’ai plusieurs œuvres que je considère comme majeure mais je vais en évoquer deux pour différentes raisons.

La Vierge Marie car elle représente ma jeunesse et ma maturité. Cette affiche renvoie à l’univers de la mode. Je craignais de la montrer à ma mère qui est croyante, puisque j’avais représenté ce symbole religieux avec du rouge à lèvre et une grosse chaine en or Louis Vuitton mais contre toute attente, ma mère l’a adoré.

Maturité, dans le sens où j’ai grandi dans une famille très religieuse, j’ai fais du catéchisme et j’ai pris conscience que tout ce qui m’avais été enseigné n’était pas aussi simple dans “la vraie vie” de tous les jours :le bien vs le mal, le paradis vs l’enfer. Je suis passé par beaucoup de questionnements et de remises en questions.

La seconde oeuvre importante pour moi est le « YES WE KANye», une allégorie d’une part du Yes we can de Obama, le fait d’être et de réussir l’impossible; le jeu de mot avec le nom du rappeur Kanye West, mais aussi la métaphore suivante : comment transfigurer l’égocentrie de deux personnes, leur africanité, leur goût pour les vêtements mais aussi leur personnalité très « Edgy ».

Pour la première 1ere fois je montrais comment je pouvais déstructurer et restructurer des personnages, cela résultait en des interprétations diverses et variées selon les individus. Les retours ont été positifs. Et puis 4 ans après, voir ce slogan employé lors de la campagne d’Obama était tout juste incroyable.

Etes vous dans des associations, des groupes, des collectifs ou autres d’artistes?

Je suis membre fondateur du collectif « On a slamé sur la lune »avec mon ami d’enfance et frère Capitaine Alexandre.

Je suis membre aussi de l’association melting pot qui oeuvre dans six pays. La mission est de venir en aide aux populations démunies dans les zones dites sous développées autour de quatre points nécessaires au développement : l’éducation, la santé, la nutrition et l’insertion sociale.

Je soutiens également le collectif « Osez l’Afrique » dont le but est entre autre de Rassembler les jeunes africains du continent et de la diaspora ayant la volonté et la détermination de construire une Afrique et prospère.

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